Lettre à Stéphane Gatignon

Cher Stéphane,

Suite à tes déclarations demandant un « moratoire » sur les programmes d’échanges de seringue, je m’adresse à toi autant comme médecin impliqué depuis longtemps dans la prise en charge des usagers de drogue que comme militant et élu.

En préambule, je veux te redire le respect que j’ai pour tes combats d’élu d’une ville très pauvre de notre région, confronté aux inégalités territoriales, à l’égoïsme et parfois aux leçons de morale de ceux qui sont bien installés dans des territoires beaucoup plus favorisés. Je ne me sens le droit de t’asséner aucun discours d’injonctions : tu as largement démontré ton engagement auprès des populations les plus en difficulté.

Tu sais comme moi d’où vient la politique de réduction des risques, et les combats que nous avons du mener pour faire admettre, au cours des années 90, cette politique. Le 1er acte fort date d’ailleurs d’un peu plus tôt, de 1986, quand une ministre d’un gouvernement de droite, Michele Barzach, a autorisé la vente libre des seringues. La mesure répondait à une situation sanitaire catastrophique : plus de 70% des usagers de drogue se contaminaient par les hépatites et le VIH. Beaucoup en sont morts.

Dans les années 90, le combat s’est poursuivi avec la revendication de légalisation des traitements de substitution. Nous étions une poignée, à Paris, à les prescrire illégalement. J’étais tout jeune médecin et je me souviens parfaitement des visages de celles et ceux que la société prétendait perdus et auxquels ces prescriptions ont permis de retrouver le chemin de leur vie. Je suis encore dans mon cabinet certainEs d’entre eux, qui grace à l’usage de seringues propres et/ou aux traitements de substitution sont en vie et ont maintenant les joies, les peines et les emmerdes de tout le monde.

La politique de réduction des risques forme un tout cohérent. Elle a fini par s’imposer, bien que toujours attaquée. C’est la seule politique qui réponde aux exigences de santé, d’humanité et d’efficacité qu’une société démocratique doit aux usagers de drogue. Aujourd’hui, elle doit franchir un nouveau pas avec l’ouverture de salles de consommation à moindre risque – dites salles de shoot.

J’ai bien compris et entendu qu’il peut y avoir dans ta ville un dysfonctionnement dans le programme d’échanges de seringue. Mais tu ne peux, tu ne dois pas à partir de ce constat, proposer une solution dont la conséquence immédiate serait de réaccroitre le risque de contaminations d’usagers de drogue. On ne peut accepter aucune pause dans ce domaine. Car toute pause se paie cash.

Tu t’es récemment exposé et tu as payé de ta personne pour défendre la situation injuste faite à ta ville. Là, ce sont des usagers de drogue que tu risques d’exposer.

Je sais que ce n’est évidemment pas ton intention, et que tu as redit aujourd’hui ton engagement en faveur de la politique de réduction des risques.

Continuons à défendre ensemble la cohérence de cette politique dans toutes ses dimensions, et consacrons notre énergie à obtenir l’ouverture de salles de consommation à Paris – et pas une seule; il en faut plus – et sur tous les territoires où c’est nécessaire.

Sois assuré de ma solidarité et de mon amitié.

Bernard

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