Les migrants tunisiens au conseil d’arrondissement
Nous les avons tant rêvés ces moments où la contagion démocratique se répand dans des pays qui pour plusieurs d’entre eux nous sont si proches par l’histoire.
Nous les avons rêvés et ils sont arrivés. Fait remarquable, leurs revendications sont incroyablement universelles. La liberté, la liberté de conscience et d’opinion, le droit d’association, le droit de circulation, le droit du peuple à choisir ses dirigeants. Tous ces fondements de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, que les militants des droits de l’homme portent et dont il était de bon ton de nier l’universalité au nom des particularismes culturels et religieux. Quelle leçon ! Ce ne sont pas des révoltes au nom d’une religion ou d’un déterminisme culturel, ce sont des révoltes de la liberté. Formons le vœu qu’elles débouchent sur des formes de pouvoir démocratiques, qu’elles ne seront pas détournées. Et soutenons-les.
C’est un des effets de la mondialisation. Le vent de ces révoltes se fait sentir dans notre pays.
Qu’y a-t-il de surprenant à ce qu’un système en mutation politique produise une instabilité économique ? La Tunisie s’éveille à la liberté et dans cet instant elle en souffre économiquement.
Le tourisme s’est effondré et le Sud du pays, déjà économiquement fragile, voit son économie s’affaisser. Ce même sud tunisien qui doit accueillir des dizaines de milliers de réfugiés de Libye, qui leur apporte l’aide humanitaire dont ils ont besoin.
Ils sont donc quelques milliers – peut être 20 ou 30 000 – à avoir fui le sud tunisien. Au péril de leur vie. Cette méditerranée que Fernand Braudel décrivait si admirablement comme la mère de toutes les mers, un incroyable creuset de civilisations et d’échanges – cette méditerranée ne doit pas devenir un cimetière. En 20 ans, 10 000 migrants sont morts en la traversant.
Et ils sont quelques centaines à s’être échoué dans le 19e.
Que devions-nous faire ?
D’abord sur le plan humanitaire. Leurs conditions de vie étaient indignes. Indigne de devoir dormir dehors. Indigne de n’avoir ni sanitaire ni lieu pour se laver. Indigne de ne recevoir quasiment aucune aide en nourriture. Indigne alors qu’ils étaient pour beaucoup épuisés et amaigris, isolés et pour certains malades.
L’Etat a refusé toute aide. Le Maire de Paris a annoncé les premières mesures, 100 puis 200 000 euros ont été débloqués. Cette inaction humanitaire de l’Etat est profondément contraire à notre tradition. L’idée de soumettre l’aide humanitaire à une position politique est choquante.
J’ai entendu les analystes qui lient ce recul de nos capacités d’humanité à la poussée d’un parti aux relents xénophobes. Sans doute des calculs de cuisine électorale, des frilosités, des craintes assaisonnées de théorie d’appel d’air pèsent-elles.
J’y vois surtout le marqueur de responsables, de leaders d’opinion désemparés, qui perdent le sens de leurs valeurs. Les discours de repli, de stigmatisation marquent des points dans notre pays.
L’arrivée de 3 ou 400 tunisiens dans notre capitale aura révélé l’ampleur des dégâts. La montée des discours populistes en Europe est là.
Et sur le plan politique ? Fidèle à elle-même et à la politique du Chef de l’Etat, la droite voit les migrants tunisiens comme une menace et applique une logique uniquement policière. Elle arrête, place en rétention et renvoie brutalement. Je dis brutalement car beaucoup de tunisiens, constatant qu’ils ne trouveront pas en France ce qu’ils croyaient y trouver, veulent repartir. Ils ne demandent que de la dignité, mais même cela, le gouvernement ne l’accorde pas.
Le renvoi de balles entre la France et l’Italie est indécent. Il est fondé sur une lecture partagée par les dirigeants de ces 2 pays qui considèrent toute immigration comme un fardeau et une atteinte à l’identité nationale.
Ils brandissent l’esprit de responsabilité mais pratiquent la politique du bouc émissaire. Si nos sociétés ne vont pas bien, les migrants n’y sont pourtant pour rien, c’est la perte de projet collectif et de valeurs partagées qui sont en cause. Et l’exemple donné par les premiers responsables de la France et de l’Italie est à cet égard particulièrement éloquent.
Notre conseil municipal, directement confronté à l’arrivée des migrants, doit s’engager sans hésitations pour leur apporter l’aide humanitaire nécessaire. Et défendre une étude personnelle du parcours de chacun.
Le sens du vœu proposé porte une philosophie générale d’accueil que je partage. Mais je ne souhaite pas que l’impression soit donnée que les seules lignes tracées par notre conseil soient de s’adresser aux autres collectivités, de demander à la région d’agir et de ne rien dire de nos propres responsabilités. Nous devons aussi affirmer notre engagement humanitaire dans l’accueil de ceux qui arrivent démunis de tout sur le territoire du 19e.
Aussi je propose d’ajouter au vœu cet engagement de notre municipalité sous la forme du paragraphe suivant :
« Le conseil du 19e affirme son engagement d’apporter aux migrants présents porte de la Villette et dans le 19e toute l’aide humanitaire nécessaire et conforme au respect de la dignité humaine. » La proposition est adoptée par le Conseil.